LA
FEMME
Au
centre de l'intrigue, une femme, épouse du poète,
la belle et écervelée Nathalie, née Gontcharov.
La jeune femme faisait tourner la tête des courtisans dans
les bals de Saint-Pétersbourg. Elle attira sur elle la
bienveillance de l'Empereur Nicolas 1er dont on murmurait que
la beauté de la belle Nathalie ne le laissait pas indifférent.
Georges d'Anthès, chevalier de la garde, un Alsacien ayant
embrassé la carrière militaire à Saint-Pétersbourg
n'avait aussi d'yeux que pour elle. Ils se rencontrent en 1836,
dans un Saint-Pétersbourg insouciant et frivole où une
fête succédait à un bal et un bal à une
fête. Nathalie et d'Anthès s'y côtoyaient sans
cesse, la cour jasait...
LE
CHEVALIER-GARDE
D'Anthès,
fringant chevalier-garde, a autant de succès avec les femmes que Nathalie
avec les hommes. Il est le baron Georges-Charles d'Anthès, Alsacien
né à Soultz le 5 février 1812. Lors de son voyage vers
la Russie en 1833, d'Anthès, malade en Allemagne, croise la route
de l'ambassadeur de Hollande, le baron Van Heeckeren en poste à la
cour de Saint-Pétersbourg. L'ambassadeur adopte le jeune Georges avec
l'approbation de la famille alsacienne. D'Anthès, ainsi doté d'une
belle fortune, est un courtisan servilement dévoué au tsar
despote Nicolas 1er. Le baron de Heeckeren est dépeint comme un homme
rusé et calculateur. Sur ces relations avec d'Anthès, il y
eut également des soupçons, non fondés semble-t-il.
Personne ne connaissait à l'ambassadeur de femmes ou de maîtresses.
A
SE BRULER LES AILES
A
propos de Georges d'Anthès, Henri Troyat écrit
dans sa biographie sur Pouchkine : « D'Anthès était
une réplique de Nathalie. Comme elle, il vivait dans
un tourbillon. Comme elle, il était sain, jeune, écervelé et
ardent. Auprès de lui, elle se sentait devenir femme.
Ce trouble que Pouchkine n'avait pas su éveiller en elle,
d'Anthès, dès le premier regard, l'en avait gratifié.
Ainsi, de rencontre en rencontre, Nathalie comprenait mieux
que cet homme réalisait toutes les vertus dont elle avait été frustrée
en épousant le poète Pouchkine.» Et le romancier
poursuit : « Elle savait ce qui était bien, ce
qui était mal. Mais entre le bien et le mal il existait
des nuances commodes ! Une femme sérieuse pouvait goûter
de menus plaisirs sans faillir à son devoir. Une épouse
intègre avait licence pour s'aventurer jusqu'au limite
du péché sans que personne eût droit de
critiquer sa conduite. Pouchkine avait autorisé "la
coquetterie". Et Nathalie en profitait largement. Un peu
avec l'Empereur. Beaucoup avec d'Anthès. Qu'y avait-il
de scandaleux à cela?»
LE
DUEL
Voilà Pouchkine
nommé « grand maître de l'Ordre des Cocus».
A présent il faut se battre. D'Anthès s'achète
une conduite en épousant brusquement Catherine, la belle
soeur de Pouchkine. Personne n'est dupe. Le duel a lieu le 27 janvier
1837 vers 17 h dans la neige et le froid glacial. D'Anthès
fait feu le premier, Pouchkine s'écroule. A terre, Pouchkine
trouve la force de tirer à son tour sur le garde-chevalier
qui lui offre son profil, la main protégeant le coeur. D'Anthès
est blessé sans gravité au bras. Pouchkine, touché sévèrement
au ventre, perd beaucoup de sang. Ramené à son domicile,
il meurt deux jours plus tard, le 29 janvier en début d'après
midi, au terme d'une longue agonie dans d'atroces souffrances. Sa
femme Nathalie est effondrée et réalise un peu tard
l'enjeu mortel qu'elle représentait.
RETOUR
A SOULTZ
Dégradé,
d'Anthès
est expulsé de Russie. Le baron de Heeckeren, blâmé, rejoint
la famille d'Anthès en Alsace. A Soultz naît, en 1837, la première
fille du couple d'Anthès. Suivront deux autres filles et un garçon.
Catherine décède des suites de ses couches en octobre 1843. Georges
d'Anthès se lance alors dans la politique. Elu au Conseil général
du Haut-Rhin pour le canton de Soultz en 1842, il en assure la présidence
en 1861. Napoléon III le chargera d'une mission extraordinaire auprès
de la cour de Vienne, de Berlin et de Saint-Pétersbourg. D'Anthès
a 40 ans. Il est le plus jeune sénateur de France. Il défend bien
les intérêts du Haut-Rhin et institue les premières lignes
ferroviaires en Alsace, se lance dans l'assurance, les banques, le commerce maritime
et l'exportation. Il fonde la Compagnie du Gaz de Paris. Après la chute
de l'Empire, d'Anthès-Heeckeren partage son temps entre Paris et Soultz.
Il meurt en 1895. Pour les Russes, il restera « le Français » qui
donna la mort à Pouchkine. |
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